Transcription et traduction d’un extrait du cours Practical Animism de Daniel Foor.
« Il est important d’observer ce que l’on amène de soi dans son rapport avec la Terre et d’avoir conscience qu’il existe des risques de biais culturels ou psychologiques qui peuvent servir ou desservir la relation.
L’un d’entre eux est l’hypothèse que la Terre est féminine, ou que la Terre est notre mère. Ou que la Terre est notre père. Ou que la Terre est queer ou non binaire. Ou que la Terre est d’une quelconque manière qui nous vienne à l’esprit, genrée ou non genrée. Bien que l’on puisse tout à fait comprendre la propension d’associer la Terre à la capacité de nourrir, et cette capacité à la maternité, et que par conséquent l’on puisse projeter sur la Terre la relation envers une mère (et bien entendu il existe un tel précédent dans les cultures traditionnelles) le risque est de prendre toutes nos suppositions sur nos mères, ou sur l’expérience de nos mères, ou sur ce que sont ou ne sont pas les femmes dans notre culture, et de les projeter sur la planète. Si vous êtes attaché·e à l’idée que la Terre est divinement genrée, regardez si vous arrivez à assouplir cette position, si vous arrivez à renverser cette histoire, ou à voir le masculin dans ce que vous considérez d’habitude comme féminin. La Terre n’est pas une femme. La Terre est un être géant, mystérieux et interdimensionnel qui nous soutient et ne se contente pas de se conformer à une histoire de genre ou de sexe plaquée sur elle. Donc, allez-y doucement avec l’histoire selon laquelle « La Terre est une mère ».
Une deuxième hypothèse qui revient souvent est que l’on doit prendre soin de la Terre ; l’idée que, puisque « La Terre est notre mère », on doit prendre soin d’elle. Or, quand tout va bien, ce sont nos mères qui prennent soin de nous, et pour cela, nous les respectons et nous les remercions. Je ne prétends évidement pas qu’il faille s’affranchir de toute responsabilité envers les autres qu’humain·e·s – il va de soi qu’il s’agit de l’une des bases de l’enseignement et de la philosophie animistes. Mais l’idée que l’on doive prendre soin de la Terre peut nous empêcher de nous fondre dans cette étrange et très ancienne puissance magique qui a la capacité de nous réduire en bouillie, qui est bien plus grande que nous et n’a pas véritablement besoin que nous la réparions. Si l’on reste attaché·e à l’idée que « L’être humain doit prendre soin de la Terre », on passe à côté de quelque chose et cela peut davantage parler de nous-même et de l’hypothèse patriarcale selon laquelle les hommes doivent prendre soin des femmes parce qu’elles sont fragiles ou quelque chose du genre. N’infligez pas cela à la Terre. Doucement sur le prendre soin. Et disons oui à des relations responsables qui n’ont pas besoin de ressembler au prendre soin.
Une troisième idée répandue et sur laquelle il faut être vigilant·e est que la Terre se meurt, que nous sommes en train de la tuer. Certes, les humain·e·s sont à l’origine d’une extinction massive abominable et extrêmement problématique à bien des égards. Mais si l’on se réfère à la sagesse et au corps de la divinité qu’est cette planète, non, nous n’allons pas tuer la planète. Nous pouvons causer énormément de dégâts, nous en causons déjà énormément à nous-mêmes et aux autres, mais c’est un peu présomptueux de penser que nous sommes en mesure de tuer la planète. Soyons plus précis: nous causons clairement des dégâts de bien des manières, et en même temps ne sous-estimons pas la capacité de cet écosystème, de cette planète intelligente, à se régénérer.
Une quatrième façon dont les gens parlent parfois de la Terre, qui est assez chargée, est que nous sommes en train de violer la Terre, que la Terre est victime d’un viol. J’aimerais suggérer qu’il peut être préférable de réserver le lexique des violences sexuelles ou du viol pour décrire ce qui se passe entre êtres humains et de ne pas utiliser le même lexique, extrêmement chargé, pour l’appliquer à la façon dont nous entrons en relation avec les mondes autres qu’humain. Dans mon observation, ce sont le plus souvent des hommes, et le plus souvent des hommes blancs, qui utilisent ce lexique pour décrire les mauvaises manières de se comporter avec le monde autre qu’humain. Je ne dis pas que la violence sexuelle ne touche pas également la vie des hommes, parce qu’elle le fait. Ce que j’ai observé, c’est que ce type de lexique est souvent utilisé pour tenter d’avoir un impact, mais que l’impact résultant dessert celles et ceux qui vous écoutent qui ont réellement subi des violences sexuelles. Par conséquent, si vous voulez continuer à utiliser un lexique où la Terre est victime de viol de la part des multinationales, ou quelque chose du genre, gardez le cœur ouvert pour voir comment vos paroles atterrissent et comment elles affectent les personnes à qui vous parlez et qui ont subi ce type de violences. De plus apparait alors le risque de se raconter que la Terre est une survivante d’abus sexuels, et c’est un peu trop anthropocentré pour obtenir une perception claire de l’être extrêmement ancien qu’est cette planète.
Une dernière manière de voir la Terre, dont je veux nous encourager à prendre conscience et au sujet de laquelle je vous invite à la prudence, est le fantasme que la Terre va nous tuer. Non pas que nous tuons la Terre, mais que la Terre va se venger et nous tuer : la Terre va se débarrasser de nous, la Terre va rétablir son équilibre, la Terre est tellement intelligente et tellement puissante que les êtres humains, qui se comportent si mal, vont tous mourir et quelle bonne nouvelle pour le monde quand nous aurons tou·te·s disparu ! Mon instinct me souffle qu’il y a là une sorte de complexe du sauveur et un fantasme dans lequel on imagine que Dieu va nous sauver de ces effroyables circonstances et que, même si la vie est difficile, il va venir à notre secours. Je n’ai pas l’impression que la Terre est une divinité salvatrice qui va arriver de l’extérieur et faire mourir tous les êtres humains comme par magie, ou bien seulement les trois quarts, pour qu’il ne reste au final que des gens de gauche progressistes qui repeupleront la Terre. Cette perspective d’être sauvé·e est une sorte de fantasme qui n’est pas tant lié à l’être ancien et étrange qu’est véritablement la Terre, mais davantage à la douleur qui émerge du constat de ce qui se passe dans le monde alors que l’on se sent incapable d’avoir suffisamment d’impact pour que cela change. Envisagez la possibilité qu’il n’y a pas d’opération de sauvetage en vue en provenance de l’extérieur et qu’il n’y a aura pas de peste envoyée par la Terre Mère pour tuer les gens qui ont des opinions politiques différentes des vôtres.
Prenez un instant pour examiner si ce que je viens de mentionner a pu intervenir dans votre manière de percevoir la Terre et votre rapport avec cette planète. »