Traduction de l’essai Every Act a Ceremony par Charles Eisenstein
Il y a quelques semaines j’ai rencontré une femme qui travaille avec un mama, ou chamane, Kogi de la Sierra Nevada en Colombie. Il est venu en Californie il y a plusieurs années et a réalisé plusieurs cérémonies approfondies à un emplacement précis. A l’époque, il dit : « Vous avez intérêt à régulièrement tenir une cérémonie ici, sinon il y aura de graves incendies. » Personne ne fit les cérémonies, et l’année suivante il y eut des feux de forêt. Il revint ensuite et répéta son avertissement. « Si vous ne faites pas de cérémonies, les feux seront encore pires ». L’année suivantes les feux empirèrent. Il revint encore et prononça son avertissement une troisième fois. « Faites les cérémonies ou les feux dans cette partie du monde seront bien pires. » Peu après, le Camp Fire dévastait la région.
Plus tard cette femme découvrit qu’à l’endroit identifié par le Kogi s’était déroulé un massacre des autochtones qui y avaient vécu. À sa façon il avait été capable de le percevoir. Dans sa compréhension, un tel abominable traumatisme affecte le lieu aussi bien que les humains. Il sera en colère, déséquilibré, incapable de se maintenir en harmonie jusqu’à ce qu’il soit guéri par des cérémonies.
Il y a deux ans, j’ai rencontré des prêtres Dogons et je leur ai demandé leur avis sur le changement climatique. Comme les Kogis, cela fait des milliers d’années que les Dogons préservent leurs pratiques cérémonielles. Ces hommes m’ont répondu : « Ce n’est pas ce que vous croyez. La principale raison pour laquelle le climat est en train de devenir fou est que vous avez enlevé des objets sacrés des endroits où ils sont censés être, des endroits où ils ont été placés avec beaucoup d’attention et de soin, et ils ont été emmenés dans des musées à Londres et New York. » Dans leur compréhension, ces objets et les cérémonies qui les entourent maintiennent vivante une alliance entre les humains et la Terre. En échange de ce paiement en attention et en beauté, la Terre fournit un environnement adapté à l’habitat humain.
Mon amie Cynthia Jurs tiens depuis une vingtaine d’années des cérémonies au cours desquelles elle enterre des Vases Trésor de la Terre (Earth Treasure Vases), des réceptacles religieux tibétains fabriqués dans un monastère au Népal conformément à un procédé rituel spécifique. Elle a apprit cette pratique – et cela va ressembler à un cliché mais c’est vraiment arrivé – dans une grotte en Himalaya de la part d’un Lama âgé de 106 ans. Elle lui avait demandé « Quel est le meilleur service que je puisse rendre pour la guérison du monde ? » Il lui répondit, « Et bien chaque fois que tu rassembles des personnes pour méditer, cela a un effet guérisseur, mais si tu veux faire davantage, tu peux enterrer des Vases Trésor de la Terre. » Au départ Cynthia fut déçue de cette proposition. Elle pratiquait assidument le Bouddhisme Tibétain et certes, ce devait être une très belle cérémonie, mais bon, il y a des véritables dégâts sociaux et écologiques qui demandent à être traités. Les gens doivent s’organiser. Les systèmes doivent changer. Quel effet positif une cérémonie pourrait-elle avoir ?
Néanmoins elle accepta le cadeau qu’on lui fit d’un ensemble de vases dont le Lama avait commandé la fabrication dans un monastère voisin. Cinq ans plus tard, elle commença à se rendre dans des lieux du globe où la terre et les habitants avaient vécu de grandes souffrances, et à enterrer les vases selon les instructions de la cérémonie qu’elle avait reçues. Dans certains de ces lieux, des miracles petits et grands se produisirent, y compris des miracles sociaux aussi terre à terre que la construction de centres de paix. D’après son observation, les cérémonies fonctionnent.
Rituel, cérémonie, and matérialité
Comment comprendre de tels récits ? L’esprit moderne politiquement correct veut respecter les autres cultures mais hésite à réellement adopter cette vision radicalement différente de la causalité qu’elles tiennent pour acquis. Les cérémonies dont je parle appartiennent à une catégorie différente de ce que l’esprit moderne considère comme une action concrète dans le monde. Ainsi, une conférence pour le climat commencera éventuellement par inviter un ou une autochtone à invoquer les quatre directions avant de s’attaquer aux affaires sérieuses des mesures, des modèles et des politiques.
Dans cet essai, j’explorerai un autre point de vue sur ce que le monde contemporain peut tirer d’une approche cérémonielle de la vie, telle que les pratiquent ceux qu’Orlando Bishop nomme « les cultures de la mémoire » – les peuples traditionnels et indigènes et ancrés à un territoire, ainsi que les lignées ésotériques de la culture dominante.
Cette alternative ne se substitue pas à une approche rationnelle et pragmatique de la résolution des problèmes personnels ou sociaux. Elle ne se positionne pas non plus à côté sans avoir aucun lien. Elle n’est pas non plus un emprunt ou une importation de cérémonies d’autres peuples.
Il s’agit de l’union de la cérémonie et du pragmatisme fondée sur une vision du monde profondément différente.
Commençons pour l’instant par faire une distinction entre cérémonie et rituel. Même si nous ne les reconnaissons pas, la vie moderne regorge de rituels. Glisser une carte de crédit dans une machine est un rituel. Faire la queue est un rituel. Les procédures médicales sont des rituels. Signer un contrat est un rituel. Cliquer « J’approuve » sur les « Conditions d’utilisation » est un rituel. Remplir sa feuille d’impôts est un rituel complexe qui, pour certaines personnes, demande l’aide d’un prêtre – initié aux arcanes et aux rites, parlant couramment un langage spécifique que l’homme du commun peut à peine comprendre, et que l’on reconnait grâce à un titre honorifique – afin d’aboutir. Un comptable certifié vous aide à exécuter ce rituel qui vous permet de rester un digne membre de la société. Les rituels impliquent la manipulation de symboles d’une manière précise afin de maintenir un lien avec les dimensions sociale et matérielle.
Selon cette définition, le rituel n’est ni bon ni mauvais, mais simplement un moyen dont les humains et les autres êtres structurent leur réalité.
Une cérémonie, par conséquent, est un rituel particulier. C’est un rituel réalisé en sachant que l’on est en présence du sacré, que des êtres saints vous regardent, ou que Dieu est votre témoin.
Ceux dont la vision du monde exclut le sacré, les êtres saints ou Dieu, verront la cérémonie comme un non-sens, une superstition, ou au mieux, un tour de passe-passe psychologique, éventuellement utile pour calmer l’esprit et concentrer l’attention.
Attendez. Dans une vision du monde qui donne une place au sacré, aux êtres saints, ou à Dieu, n’est-il pas vrai que Lui ou Elle ou Eux sont toujours en train de nous observer, d’observer tous nos actes ? Cela ne veut-il pas dire que tout devient une cérémonie ?
Oui – si vous vous sentez constamment en présence du sacré. Cela vous arrive-t-il souvent ? Et à quelle fréquence, si on vous posait la question, avoueriez-vous savoir que des êtres saints vous observent, sans en être complètement convaincu à l’instant même ? À des très rares exceptions près, des exceptions en voie de disparition, les personnes religieuses de ma connaissance ne semblent pas agir toute la journée comme si elles pensaient que Dieu les écoutait et les regardait. Les exceptions transcendent toute foi particulière. On les reconnait à une certaine gravité dans leur posture. Toutes leurs actions et paroles sont porteuses d’une sorte de poids, de présence. Leur gravité imprègne, au delà des occasions solennelles, leur rire, leur chaleur humaine, leur colère et leurs moments ordinaires. Et quand une personne de ce type conduit une cérémonie, c’est comme si la gravité changeait dans la pièce.
Une cérémonie n’est pas un moyen d’échapper à un monde tourmenté pour se réfugier dans un royaume spirituel fantaisiste. C’est une étreinte plus complète du monde matériel. C’est la pratique de rendre hommage à la matérialité, vue comme sacrée par ce qu’elle est intrinsèquement, ou parce qu’elle est le chef d’œuvre de Dieu. Sur l’autel, on place les bougies de cette manière. Une image me vient, celle d’un homme qui m’a appris la signification de la cérémonie. Ses gestes sont bien pesés et précis; mais ni rigides ni négligents pour autant. Il fait de chaque mouvement un art, en prêtant attention à la nécessité du moment et du lieu.
Dans une cérémonie, on se dévoue à la tâche en cours, on pose chaque geste comme il doit être posé. Une cérémonie est donc une pratique pour toute la vie, une pratique de faire toute chose comme elle doit être faite. Une pratique cérémonielle authentique agit comme un aimant qui aligne de plus en plus de vie dans son champ, c’est une prière qui demande, « Puisse tout ce que je fais être une cérémonie. Puisse chacun de mes gestes être réalisé dans une présence absolue, un soin absolu, un respect absolu pour ce qu’il sert. »
Pragmatisme et révérence
Il est donc clair que la récrimination selon laquelle toutes ces journées de cérémonie auraient été mieux utilisées en plantant des arbres ou en faisant campagne contre l’industrie du bois passe à côté de quelque chose d’important. Imprégnée de cérémonie, la planteuse d’arbre se préoccupera du bon emplacement de chaque arbre et du bon choix d’arbre pour chaque micro-climat ou niche écologique. Elle prendra soin de le planter à la bonne profondeur et s’assurera qu’il recevra la protection et le soin adéquats par la suite. Elle va s’efforcer de le faire parfaitement. De la même manière, le militant fera la différence entre ce qui est vraiment nécessaire pour arrêter le projet d’abattage des arbres et ce qui pourrait flatter son ego de croisé, son complexe du martyr ou son besoin d’avoir raison. Il n’oubliera pas ce qu’il sert.
C’est absurde de dire d’une culture indigène : « La raison pour laquelle ils ont vécu de manière soutenable sur la terre pendant cinq mille ans n’a rien à voir avec leur cérémonies superstitieuses. C’est parce qu’ils sont des observateurs ingénieux de la nature qui réfléchissent jusqu’à sept générations après eux. » Leur révérence et leur attention pour les besoins subtils d’un lieu font partie intégrante de leur approche cérémonielle de la vie. L’état d’esprit qui nous invite à la cérémonie est le même que celui qui nous pousse à demander : « Que veut la terre ? Que veut la rivière ? Que veut le loup ? Que veut la forêt ? » et écoute ensuite de très près les indices qui nous sont donnés. Il tient la terre, la rivière, le loup et la forêt pour des êtres – au même titre que les êtres saints qui sont toujours en train d’observer, et dont les besoins et les intérêts sont entremêlés aux nôtres.
Tout ceci peut sembler contraire aux enseignements théistes. par conséquent, pour ceux qui croient à un Dieu créateur, voici une traduction. Le regard de Dieu pointe au travers de chaque arbre, loup, rivière et forêt. Tout a été créé avec un but et une intention. Et nous demandons donc, Comment pouvons-nous participer à l’accomplissement de ce but ? La réponse sera la même que de se demander, Que veut la forêt ? Je laisse à présent le lecteur traduire le reste de cet essai dans un langage théiste.
Je ne prétends pas être une personne qui sait que des êtres saints l’observent en permanence. Dans mon éducation, les êtres saints comme le ciel, le soleil, la lune, le vent, les arbres et les ancêtres n’étaient pas des êtres saints du tout. Le ciel était un assemblage de particules de gaz qui se dissipaient dans le vide de l’espace. Le soleil était une boule d’hydrogène en fusion. La lune était un rocher (et une rocher une agglomération de minéraux, et un minéral un tas de molécules inertes…). Le vent était des molécules en mouvement, animés par des forces géo-mécaniques. Les arbres étaient des colonnes de biochimie et les ancêtres étaient des cadavres dans le sol. Le monde extérieur à nous était muet et mort, une mêlée arbitraire de masses et de forces. Il n’y avait rien à l’extérieur, ni intelligence pour être témoin de mes gestes, ni raison de faire quoique ce soit mieux que ce que justifiaient ses conséquences rationnellement prévisibles.
Pourquoi devrais-je mettre la bougie sur mon autel juste dans la bonne position ? C’est seulement de la cire qui s’oxyde autour d’une mèche. Son emplacement n’exerce aucune force sur le monde. Pourquoi ferais-je mon lit alors que je vais y rendormir la nuit suivante ? Pourquoi faire quoique ce soit mieux que ce qui doit être fait pour la note, le patron ou le marché ? Pourquoi devrais-je faire un quelconque effort pour rendre quelque chose plus beau que nécessaire ? Je vais faire des économies – personne n’en saura rien. Dans mon imagination d’enfant, le soleil, le vent et l’herbe me voient peut-être, mais allons donc, ils ne me voient pas réellement, ils n’ont pas d’yeux, ils n’ont pas de système nerveux central, ils ne sont pas des êtres comme moi. Voilà l’idéologie dans laquelle j’ai grandi.
Le point de vue cérémoniel ne nie pas qu’il puisse être utile de voir le ciel comme un amas de de particules gazeuses ou la pierre comme un composé de minéraux. Mais il ne limite pas le ciel et la pierre à cela. Il tient pour véridiques d’autres manière de les voir, sans assimiler leur composition réductionniste à ce qu’ils sont « vraiment ». Par conséquent, l’alternative à la perspective sur le monde de mon éducation n’est pas d’abandonner le pragmatisme pour une espèce d’esthétique cérémonielle. Le fossé entre le pragmatisme et l’esthétique est erroné. Il n’existe que dans une explication causale du monde qui nie son intelligence élégante et son mystère. La réalité n’est pas ce qu’on nous a raconté. Il y a des intelligences à l’œuvre dans le monde au delà de l’humain, et des principes causaux conjoints à ceux de la force. Les synchronicités, la résonance morphique et l’autopoïèse, bien que n’étant pas antithétiques à la causalité basée sur la force, peuvent étendre l’horizon de nos possibilités. De la même manière, une cérémonie ne va pas « provoquer » d’autres événements dans le monde; elle étire et modèle la réalité en une forme où des choses différentes se produisent.
Vivre une vie sans cérémonie nous laisse sans alliés. Exclus de notre réalité, ils nous abandonnent à un monde sans intelligence – l’image même de l’idéologie moderniste. La perspective mécaniste devient sa propre prophétie auto-réalisatrice, et nous sommes en effet laissés avec la force pour seul outil d’action sur le monde.
La transition que les peuples traditionnels comme les Kogis et les Dogons nous offrent n’est pas d’adopter ou d’imiter leurs cérémonies; c’est une transition vers une vision du monde qui envisage que nous êtres humains sommes accompagnés dans le monde, que nous participons à un colloque d’intelligences dans un univers qui regorge d’êtres. Une cérémonie déclare le choix de vivre dans un tel univers et de participer à la création de sa réalité.
La cérémonie dans la guérison de l’environnement
Pour parler concrètement… Une minute ! Tout ce que j’ai dit est déjà hautement concret. Laissez-moi à la place vous parler d’étendre l’esprit de cérémonie au royaume de la politique et des pratiques environnementales. Cela signifie faire ce qu’il faut pour chaque lieu sur la Terre, le comprendre comme un être, et savoir que si nous traitons chaque lieu, espèce et écosystème comme des êtres sacrés, alors nous inviterons également la planète dans une unité sacrée.
Parfois les actes qui montent du fait de voir chaque lieu comme sacré s’insèrent aisément dans la logique de séquestration du carbone et du changement climatique, comme lorsque nous arrêtons un pipeline pour protéger des eaux sacrées. À d’autres moments, la logique du budget carbone semble aller dans le sens contraire des instincts de l’esprit de cérémonie. Aujourd’hui des forêts sont rasées pour laisser la place à des méga-champs de panneaux solaires, et des oiseaux sont tués par des turbines à vent géantes qui surplombent le paysage. De plus, tout ce qui ne présente pas d’influence notable sur les gaz à effet de serre devient invisible aux politiques environnementales. Qui est la contribution concrète d’une tortue de mer ? D’un éléphant ? Quel importance si je mets ma bougie de travers sur l’autel ?
Dans une cérémonie, tout compte et on est attentif au moindre détail. En abordant la guérison écologique avec l’esprit de cérémonie, de plus en plus de choses apparaissent à notre attention. Au fur et à mesure que la science révèle l’importance d’êtres jusqu’alors invisibles ou ordinaires, le périmètre de la cérémonie s’étend. Le sol, le mycelium, les bactéries, la forme des cours d’eau… chacun demande sa place sur l’autel de nos pratiques agricoles, forestières, et de toutes nos relations avec le reste du vivant. Au fur et à mesure que la subtilité de notre comptabilité causale s’approfondit, nous voyons par exemple que les papillons ou les grenouilles ou les tortues de mer sont cruciaux pour la santé de la biosphère. Au final nous réalisons que l’œil cérémoniel est juste : que la santé environnementale ne peut être réduite à quelques quantités mesurables.
Je ne suggère pas d’abandonner les projets de réparation qui seraient basés sur une compréhension plus grossière de l’être-té du monde; c’est à dire qui peuvent être mécanistes dans leur conception de la nature. Nous devons reconnaître que l’étape suivante se situe dans un approfondissement des relations cérémonielles. Récemment j’ai démarré une correspondance avec Ravi Shah, un jeune homme en Inde qui fait un travail exceptionnel dans la régénération d’étangs et des terres qui les entourent. Sur l’exemple de Masanobu Fukuoka, il fait preuve d’une attention extrêmement délicate, plaçant certains roseaux ici, enlevant un arbre invasif, là faisant confiance aux pouvoirs régénérants innés de la nature. Plus il minimise son interférence, plus les effets sont grands. Ce qui ne veut pas dire qu’une interférence nulle serait la plus puissante. Ce qui se passe c’est que plus sa compréhension est fine et précise, mieux il est capable de s’aligner et de servir le mouvement de la nature, et moins il a besoin d’interférer pour arriver. Le résultat est qu’il a créé – ou plus correctement, a servi la création d’ – un oasis luxuriant et verdoyant dans un paysage détérioré; un autel vivant.
Ravi fait preuve d’une impatience compréhensible envers les grands projets de restauration de l’eau comme ceux décrits dans mon livre : le travail de Rajendra Singh en Inde et la restauration du plateau de Loess en Chine, qui n’arrivent pas à la cheville de sa révérence et de son attention au détail au niveau mirco-local. Ces projets sont issus d’une compréhension plus conventionnelle et mécaniste de l’hydrologie. Où est le sacré ? demande-t-il. Où est l’humilité devant la sagesse exquise des écosystèmes interdépendants propres à chaque endroit ? Ils ne font que construire des bassins. Peut-être, ai-je dit, mais nous devons prendre les gens où ils sont, et célébrer chaque pas dans la bonne direction. Le projet de Ravi peut représenter un aperçu de ce qui est possible, sans accuser les travaux qui représentent la première d’une des nombreuses étapes qui y mènent.
J’ajouterais que, pour qu’un lieu guérisse, il a besoin de l’exemple de la santé, un réservoir de santé où il peut puiser. L’oasis de santé écologique qu’il a établi peut rayonner vers les environs au niveau social et écologique, et transmettre la santé à d’autres endroits (par exemple en fournissant un refuge et des espaces de reproduction pour les plantes et les animaux), transmettre de l’inspiration à d’autres guérisseurs de la terre. C’est la raison pour laquelle l’Amazone est si cruciale, surtout son amont, qui est sûrement le plus grand puits et réservoir intact de santé écologique du monde. Là se trouve, encore intacte, la mémoire de Gaïa sur sa santé, sur le passé du monde et sur un monde à venir réparé.
Le travail de réparation terrestre de Ravi fonctionne précisément comme une cérémonie. On pourrait dire : « Ne faites pas de cérémonies spéciales – chaque acte devrait être une cérémonie. Pourquoi distinguer ces dix minutes du reste ? » De la même manière, on pourrait insister pour que chaque endroit sur Terre soit traité comme Ravi traite le sien. Pourtant la plupart d’entre nous, comme la société dans son ensemble, ne sommes pas prêts à franchir ce pas. Le fossé est trop grand. Inutile de s’attendre à ce que nous changions nos systèmes techno-industriels, nos systèmes sociaux, ou nos programmes psychologiques profonds du jour au lendemain. Ce qui fonctionne pour la plupart d’entre nous est d’installer du mieux possible un oasis de perfection – la cérémonie – et de le laisser ensuite exercer son influence sur le paysage de notre vie, amenant progressivement plus d’attention, plus de beauté, plus de puissance dans chaque geste. Faire de tout geste une cérémonie commence par le fait de faire une cérémonie d’un seul geste.
Les bases de la cérémonie
Amener une partie de sa vie dans l’espace de cérémonie ne veut pas dire que l’on considère le reste comme bassement matériel ou informel. En conduisant une cérémonie, nous avons l’intention qu’elle éclaire notre journée ou notre semaine. C’est un ancrage au milieu des vicissitudes de la vie. De même, nous n’allons pas simplement préserver quelques endroits sauvages, sanctuaires ou parcs nationaux, ou restaurer la pureté originelle de quelques lieux. Ces endroits seront en fait des points de repère : des exemples et des rappels de ce qui est possible. Au fur et à mesure que des personnes comme Ravi prennent la responsabilité de tels lieux, nous sommes invités à amener un peu de ce qui s’y trouve, puis de plus en plus, sur toute la Terre. En installant un petit moment de cérémonie dans nos vies, nous sommes invités à amener un peu de ce moment, puis de plus en plus, dans tous les autres moments.
Comment réintroduire la cérémonie dans une société d’où elle est quasiment absente ? J’ai déjà dit qu’il ne s’agissait pas d’imiter ou d’importer les cérémonies d’autres cultures. Il n’est pas non plus nécessaire de ressusciter les cérémonies de nos ancêtres, entreprise qui, bien qu’évitant apparemment l’appropriation culturelle, fait courir le risque de s’approprier sa propre culture. Les cérémonies sont vivantes; toute tentative de les imiter ou de les préserver ne font qu’invoquer leur effigie.
Que nous reste-t-il ? S’agit-il de créer nos propre cérémonies ? Pas exactement. On ne crée pas les cérémonies, on les découvre.
Voici une suggestion sur la manière de procéder. Commencez avec une cérémonie rudimentaire, par exemple allumer une bougie chaque matin et prendre un moment pour méditer sur qui vous souhaitez être aujourd’hui. Mais comment allumer la bougie parfaitement ? Peut-être en la soulevant et la penchant sur l’allumette. Où mettre l’allumette ensuite ? Sur une petite soucoupe peut-être, sur le côté. Et reposer ensuite la bougie juste comme il faut. Ensuite peut-être sonner une cloche trois fois. Quel espacement entre les sons ? Êtes-vous pressés ? Non, attendre jusqu’à ce que chaque ton s’estompe dans le silence ? Oui, voilà la bonne manière…
Je ne dis pas que ces règles et procédures doivent dicter votre cérémonie. Pour découvrir une cérémonie, suivez le fil de « Oui, c’est comme cela que cela doit être fait » que votre conscience vous révèle. En regardant, en écoutant, en concentrant son attention, on découvre quoi faire, quoi dire et comment participer. C’est exactement la manière dont les personnes comme Fukuoka apprennent la relation correcte avec un endroit.
La bougie deviendra peut-être un petit autel et l’allumer mutera peut-être en une cérémonie où on prend soin de l’autel. Ensuite celle-ci va rayonner. Peut-être que peu après vous organisez votre bureau avec le même soin. Puis votre maison. Puis vous mettez le même soin et la même intention dans votre lieu de travail, vos relations et la nourriture que vous apportez à votre corps. Avec le temps, la cérémonie devient le point d’ancrage pour une transformation de la réalité où vous résidez. Vous pourriez découvrir que la vie s’organise autour de l’intention qui sous-tend la cérémonie. Vous pourriez faire l’expérience de synchronicités qui semblent confirmer que, en effet, une intelligence plus large est à l’œuvre ici.
Au fur et à mesure, vous ressentez de plus en plus que des êtres innombrables nous accompagnent ici-bas. La cérémonie, qui ne fait sens que si des êtres saints nous regardent, nous attire dans une expérience où des êtres saints sont effectivement présents. Plus ils sont présents, plus s’approfondit l’invitation à poser davantage de gestes, et même chaque geste, comme une cérémonie, avec une attention et une intégrité totale. Ce faisant, à quoi ressemblerait la vie ? A quoi ressemblerait le monde ?
Une attention et une intégrité totales prennent des formes qui varient selon les circonstances. Dans un rituel, cela se présente différemment que dans un jeu, une conversation ou la préparation du dîner. Dans une situation cela peut demander de l’ordre et de la précision; dans une autre, de la spontanéité, de l’audace ou de l’improvisation. La cérémonie donne le ton pour que chaque geste et chaque mot soit aligné avec qui nous sommes réellement, qui nous voulons être, ainsi que le monde dans lequel nous voulons vivre.
La cérémonie offre un aperçu d’une destination sacrée, la destination où :
Chaque geste est une cérémonie.
Chaque mot est une prière.
Chaque marche est un pèlerinage.
Chaque lieu est un sanctuaire.
Un sanctuaire nous relie au sacré qui transcende tous les sanctuaires et inclut tout sanctuaire. Une cérémonie fait d’un lieu un sanctuaire, offre un lien vital avec une réalité où tout est sacré; elle est l’avant-poste de cette réalité ou de ce récit du monde. De la même manière, une terre guérie est un avant-poste des oasis qui contiennent encore la vitalité originelle de la Terre, comme l’Amazonie, le Congo et une poignée de massifs coralliens intacts, de mangroves et autres. Nous voyons avec désespoir le gouvernement du Brésil projeter le pillage de l’Amazonie et nous demandons que faire pour la sauver. L’action sur les plans politique et économique est sans aucun doute nécessaire pour y parvenir, mais nous pouvons en même temps agir sur un plan plus profond. Chaque lieu de guérison de la terre nourrit également l’Amazonie et nous rapproche d’un monde où elle est intacte. Et, en renforçant notre lien avec ce genre de lieux, nous invoquons des puissances insoupçonnées à renforcer notre détermination et coordonner nos alliances.
Les êtres que nous avons exclu de notre réalité, les êtres que nous avons réduit dans notre perception à des non-êtres, sont toujours là à nous attendre. Même avec toute l’incrédulité que j’ai reçue en héritage (mon cynique intérieur, élevé dans la science, les mathématiques, l’analyse philosophique, parle de manière aussi stridente que le vôtre), si je m’accorde quelques instants d’attention silencieuse, je peux sentir ces êtres en train de se rassembler. Remplis d’espoir, ils se rapprochent de l’attention soutenue. Sentez-vous leur présence vous aussi ? Au milieu du doute peut-être, et sans vœu pieu, sentez-vous leur présence ? C’est le même ressenti que celui qui apparaît en forêt quand on réalise pour la première fois : La forêt est vivante. Le soleil me regarde. Et je ne suis pas seul.
Bah je n’ai pas continué la lecture parce qu’elle présente une interprétation de Dieu comme extérieur à l’être humain : ce Dieu très lointain qui observe…
Il parle plutôt de percevoir la conscience des choses jusqu’alors perçus comme inanimées ou imaginaires. Si on leur accorde une conscience alors ils peuvent nous regarder (sens-tu que les arbres te regardent dans la forêt ?). Il parle de Dieu dans un seul paragraphe : « pour ceux qui croient à un Dieu créateur, voici une traduction. Le regard de Dieu pointe au travers de chaque arbre, loup, rivière et forêt. Tout a été créé avec un but et une intention. Et nous demandons donc, Comment pouvons-nous participer à l’accomplissement de ce but ? La réponse sera la même que de se demander, Que veut la forêt ? Je laisse à présent le lecteur traduire le reste de cet essai dans un langage théiste. »
Il m’a fallu arriver au paragraphe « La cérémonie dans la guérison de l’environnement » pour sentir mon corps s’expandre et me relier au texte. Très beau d’ailleurs.
Merci à la femme, traductrice qui nous permet d’avoir accès à ce récit.
Bientôt la femme initiée et initiatrice de son propre récit, partageant son parcours…