Revoir notre histoire, remettre en question la façon dont on nous l’a enseigné, afin d’ouvrir de nouvelles possibilités pour le présent, voici ce que propose dans cet extrait de The Story of B (non disponible en français) Daniel Quinn, auteur de Ishmael, un best seller écrit sous forme de dialogue socratique à propos des mythes qui fondent notre société contemporaine.
De Daniel Quinn www.ishmael.com , 5 Oct, 2013
Quelque soit le public ou la personne, je dois commencer par leur faire voir que la conscience de soi culturelle dont nous héritons de nos parents et que nous transmettons à nos enfants est fermement ancrée dans le Grand Oubli qui s’est produit dans notre culture dans le monde entier pendant le millénaire où notre civilisation s’est formée. Que s’est-il produit pendant le millénaire où notre civilisation s’est formée ?
Il s’est produit que les communautés agricoles du Néolithique se sont transformées en village, les villages sont devenus des villes et les villes ont été rassemblées en royaumes. Dans le même temps se produisirent le développement de la division du travail entre artisans, l’établissement des systèmes commerciaux au niveau régional et entre les régions, et l’émergence du commerce comme profession en tant que telle. Ce qui fut oublié pendant que tout cela se produisait était le fait qu’il y avait eu une époque où rien de tout cela n’existait – une époque où la vie humaine reposait sur la chasse et la cueillette plutôt que sur l’élevage et l’agriculture, une époque où les villages, les villes et les royaumes n’était qu’un rêve, une époque où personne ne gagnait sa vie en étant potier, vannier ou forgeron, une époque où le commerce était quelque chose d’informel et d’occasionnel, une époque il était inenvisagable que le commerce soit un moyen de subsistance.
Il n’est pas étonnant que l’oubli se soit produit. Au contraire, il est difficile d’imaginer comment il aurait pu être évité. Il aurait fallu garder vivant le souvenir de notre passé de chasseurs-cueilleurs pendant cinq mille ans avant que quelqu’un puisse en garder une trace écrite.
Quand enfin il fut possible d’écrire l’histoire humaine, les événements fondateurs de notre culture étaient déjà des développements très très anciens —mais cela n’empêchait pas de les imaginer. Au contraire, il était facile de les imaginer, simplement en extrapolant à rebours. Il était évident que les royaumes et les empires du présent étaient plus grands et plus peuplés que ceux du passé. Il était évident que les artisans du présent avaient plus de connaissances et de savoirs-faire que ceux du passé. Il était évident que les objets disponibles à la vente était plus nombreux dans le présent que par le passé. Nul besoin de prouesse de l’intellect pour comprendre que, au fur et à mesure que l’on remontait dans le temps, la population (et donc les villes) rapetissaient, l’artisanat devenait plus primitif, et le commerce plus rudimentaire. En fait, il était évident que, si l’on remontait assez loin, on arriverait à un commencement sans aucune ville, ni artisanat, ni commerce.
En l’absence de toute autre théorie, il semblait raisonnable (et même inévitable) de supposer que la race humaine devait avoir commencé avec un seul couple, l’homme et la femme originels. Cette supposition en elle-même n’avait rien d’irrationnel ou d’improbable. L’existence d’un homme et d’une femme originels n’était pas un argument en faveur de ou contre un acte de création divin. Peut-être est-ce la manière dont les choses démarrent. Peut-être qu’au début du monde, il y avait un homme et une femme, un taureau et une vache, un cheval et une jument, une poule et un coq et ainsi de suite. Personne à cette époque n’en savait rien ! Nos ancêtres culturels n’envisageaient aucunement qu’il y ait eu une quelconque « révolution » agricole. A leur connaissance les humains étaient venus au monde cultivateurs, de la même manière que les daims étaient venus au monde herbivores. De leur point de vue, l’agriculture et la civilisation étaient aussi innés pour être humain que la pensée et la parole. Notre passé de chasseurs-cueilleurs n’était pas seulement oublié, il était inimaginable.
Le Grand Oubli s’entrelaça dès le départ dans le tissu de notre vie intellectuelle. Ce tissage ancien fut accompli par les innombrables scribes des civilisations égyptienne, sumérienne, assyrienne, babyloniens, indienne et chinoise, puis plus tard par Moïse, Samuel et Elie en Israël, par Fabius Pictor et Cato l’Ancien de Rome, par Ssu-ma T’an et son fils Ssu-ma Ch’ien en Chine, et encore plus tard par Hellanicus, Herodotus, Thucydides, et Xenophon en Grèce. (Bien que Anaximander supputa que tout avait évolué depuis un matériau sans forme – ce qu’il appelait « le sans-limite » – et que les ancêtres de l’Homme étaient en forme de poisson, il n’avait pas conscience du Grand Oubli, comme les autres). Ces anciens furent les professeurs de Isaïe et Jérémie, Lao-Tseu et Bouddha Gautama, Thalès et Héraclite – qui furent les professeurs de Jean Baptiste et Jésus, Confucius et Socrates, Platon et Aristote – qui furent les professeurs de Mohamed et Aquinas et Bacon et Galilée et Newton et Descartes – et tous ont sans le vouloir inséré et confirmé le Grand Oubli dans leurs œuvres, au point que chaque texte historique, philosophique ou théologique depuis les débuts de la littérature jusqu’à aujourd’hui l’inclus comme une hypothèse fondamentale et indéniable.
À présent j’espère – j’espère sincèrement – que nombre d’entre vous brûlent de savoir pourquoi personne n’a jamais soufflé mot du Grand Oubli (quelque soit le nom qu’on lui donne) dans aucun cours que vous avez suivi; quelle que soit l’école, quel que soit le niveau d’études, depuis la maternelle jusqu’aux études supérieures. Si ce questionnement est le vôtre, sachez qu’il ne s’agit absolument pas d’une question académique. C’est une question vitale et j’ose dire que l’avenir de notre espèce sur cette planète en dépend.
Ce qui fut oublié lors le Grand Oubli n’est pas que les humains ont évolué à partir d’autres espèces. Il n’y a aucune raison de croire que les humains du Paléolithique ou du Mésolithiques devinèrent qu’ils avaient évolué. Ce qui a été oublié lors du Grand Oubli est le fait que, avant l’avènement de l’agriculture et de la vie villageoise, les humains ont vécu différemment.
Cela explique pourquoi le Grand Oubli n’a pas été révélé par le développement de la théorie de l’évolution. L’évolution n’avait rien à voir là dedans. C’est la paléontologie qui a révélé le Grand Oubli (et l’aurait fait même si aucune théorie de l’évolution n’avait jamais été suggérée). Elle l’a fait en mettant en lumière, et ce de manière incontestable, que les humains ont vécu très, très, très longtemps avant la moindre date envisageable de la première récolte et du démarrage de la civilisation.
La paléontologie a rendu indéfendable l’idée que l’humanité, l’agriculture et la civilisation ont commencé à peu près à la même époque. L’histoire et l’archéologie ont rendu incontestable le fait que l’agriculture et la civilisation n’avaient que quelques dizaines de milliers d’années. La paléontologie a rendu impossible la croyance que l’Homme était né cultivateur et bâtisseur de civilisation. La paléontologie nous a forcé à conclure que l’Homme était né sous une autre forme – glaneur et nomade sans attache – et c’est cela qui a été oublié dans le Grand Oubli.
Cela sidère l’imagination de se demander ce que les grands penseurs de notre culture auraient écrit si ils avaient su que les êtres humains avaient parfaitement bien vécu sur cette planète pendant des millions d’années sans agriculture ou civilisation, si ils avaient su que l’agriculture et la civilisation ne sont absolument pas des caractéristiques innées des êtres humains. Je ne peux que déduire que tout le déroulé de notre histoire intellectuelle aurait été radicalement différent de ce qui se trouve dans les bibliothèques aujourd’hui.
Mais voici l’un des événements les plus incroyables de toute l’histoire de l’humanité. Quand les penseurs du XVIIIème, XIXème et XXème siècles ont été finalement obligés d’admettre que la structure entière de la pensée de notre culture était basée sur une erreur fondamentale, rien n’en découla.
Pas facile de remarquer que rien ne se produit. Tout le monde le sait. Les lecteurs de Sherlock Holmes se souviendront que ce que le chien a fait de remarquable cette nuit là était… rien. Et c’est bien la chose la plus remarquable que ces penseurs ont fait: rien. Visiblement ils ne se préoccupèrent pas de faire quoique ce soit. Ils ne se préoccupèrent pas de revenir aux grands penseurs de notre culture pour se demander de quelle manière leur œuvre aurait été modifiée si ils avaient connu la vérité sur nos origines. Je crains qu’en fait, ils voulurent tout laisser tel quel. Ils voulurent continuer d’oublier… et c’est exactement ce qu’ils ont fait.
Bien sûr ils durent faire quelques concessions. Ils ne pouvaient plus continuer à enseigner que les être humains étaient nés cultivateurs. Ils ont du intégrer le fait que l’agriculture était un développement récent. Ils se sont dit: « Ok, appelons ça une révolution – la Révolution Agricole. » C’était vraiment une réflexion bâclée du pire genre qu’il soit, mais qui pourrait les contredire ? L’ensemble de l’affaire était décidément trop embarrassante et ils étaient bien soulagés de la ranger sous une étiquette. C’est donc devenu la Révolution Agricole, un nouveau mensonge à transmettre aux générations suivantes.
Les historiens étaient écœurés d’apprendre la véritable dimension de l’histoire humaine. Toute leur discipline, toute leur vision du monde était basée sur des gens qui pensaient que tout avait commencé il y a quelques milliers d’années lorsque les êtres humains étaient apparus sur la planète et commencèrent immédiatement à cultiver la terre et à construire des civilisations. C’était l’Histoire ce récit de fermiers apparaissant il y a juste quelques milliers d’années, transformant des communautés de cultivateurs en villages, des villages en villes, des villes en royaumes. Il leur semblait que c’était ça le plus important. C’était ça qui comptait, et les millions d’années précédentes méritaient d’être oubliées.
Les historiens ne voulaient pas toucher à tout le reste, et voici l’excuse qu’ils se sont inventé. Ils n’avaient pas besoin d’y toucher… car ce n’était pas l’Histoire ! C’était un espèce de truc moderne appelé Préhistoire. Voilà où était la clef. Laissons une race inférieure s’en occuper – pas les vrais historiens, mais les préhistoriens. Ainsi, les historiens modernes ont officialisé le Grand Oubli. Ce qui avait été oublié dans le Grand Oubli n’était pas important, c’était juste la Préhistoire.Une période sans intérêt. Une énorme période, infiniment longue où rien ne s’était produit.
Le Grand Oubli est ainsi devenu un non-événement. Les intellectuels gardiens de notre culture — les historiens, les philosophes, les théologiens — ne voulaient pas en entendre parler. Les bases de leurs disciplines avaient été posées pendant le Grand Oubli, et ils ne voulaient pas remettre ces bases en question. Ils étaient parfaitement à l’aise avec le fait que le Grand Oubli persiste – et pour toutes ces raisons bien pratiques, c’est ce qui se passa. La vision du monde que nous transmettons à nos enfants aujourd’hui est fondamentalement la même que celle qui était transmise aux enfants il y a quatre siècles. Les différences sont superficielles: au lieu d’enseigner à nos enfants que l’humanité a commencé il y a juste quelques milliers d’années (et n’existait pas auparavant), nous leur enseignons que l’histoire humaine a démarré il y a juste quelques milliers d’années (et n’existait pas auparavant). Au lieu d’enseigner à nos enfants que la civilisation c’est l’humanité, nous leur enseignons que la civilisation est l’histoire. Mais chacun sait que cela revient au même.
De cette manière, l’histoire humaine en est réduite à la période qui correspond à l’histoire de notre culture, et on écarte les quatre-vingt-dix-sept autres pour-cent du vécu humain comme un simple prélude.
Le mythe de la Révolution Agricole
Le fait que la Terre est le centre immobile de l’univers fut une idée que les gens acceptèrent pendant des milliers d’années. En elle-même, cette idée était assez inoffensive, mais elle a engendré des milliers d’erreurs et limité ce que nous pouvions comprendre de l’univers. L’idée de la Révolution Agricole que nous apprenons à l’école et que nous enseignons à nos enfants semble également inoffensive, mais elle aussi a engendré des milliers d’erreurs et a limité notre compréhension de nous-mêmes et de ce qui s’est passé sur cette planète.
Pour résumer, l’idée principle de la Révolution Agricole est que, il y a environ dix mille ans, les gens commencèrent à abandonner la quête de nourriture pour se tourner vers l’agriculture. Cet énoncé induit deux erreurs fondamentales: premièrement, elle implique que l’agriculture est fondamentalement une seule pratique mode de fonctionnement (de la même manière que la quête de nourriture est fondamentalement une seule pratique), et deuxièmement, elle implique que cette pratique a été adoptée par tout le monde partout sur la planète à peu près en même temps. Cet énoncé est tellement partiel qu’il n’est pas la peine de s’attarder dessus, et j’en formulerais donc un autre:
Un grand nombre de pratiques agricoles étaient en usage sur la planète il y a dix mille ans, à l’époque où notre style d’agriculture spécifique a vu le jour au Proche-Orient. Ce style, notre style, j’ai choisi de le nommer l’agriculture totalitaire, pour souligner la façon dont elle subordonne toutes les formes de vie à la production implacable et mono-orientée de nourriture pour les êtres humains. Alimentée par les gigantesques surplus de nourriture générée de manière unique par ce style d’agriculture, une croissance rapide de la population s’est produite chez ses pratiquants, suivie par une expansion géographique accélérée qui a oblitéré tous les autres modes de vie sur son chemin (y compris ceux qui étaient basés sur d’autres types d’agriculture). Cette expansion et cet anéantissement des modes de vie se sont poursuivis sans interruption pendant le millénaire qui a suivi, atteignant finalement le Nouveau Monde au XVème siècle et continuent jusqu’à nos jours dans les parties reculées de l’Afrique, de l’Australie, de la Nouvelle Guinée et de l’Amérique du Sud.
Les penseurs fondateurs de notre culture ont imaginé que ce que nous faisions était ce que tous les peuples de la Terre ont fait depuis la nuit des temps. Et quand les penseurs du XIXème siècle ont été obligé d’admettre que cela n’était pas le cas, ils ont immédiatement imaginé pour remplacer cela que ce que nous faisons est la même chose que que tous les peuples de la Terre ont fait depuis dix mille ans. Ils auraient pu profiter de meilleures informations, mais visiblement ils n’ont pas pensé que ça en valait la peine.
Orient et Occident
Le fait qu’un gouffre sépare l’Orient de l’Occident « et qu’ils ne se rencontreront jamais » fait maintenant partie intégrante de notre mythologie culturelle, et par conséquent cela déconcerte les gens quand j’évoque l’Orient et l’Occident comme une seule et même culture. l’Orient et l’Occident sont des jumeaux, nés du même père et de la même mère, mais quand ces frères jumeaux se regardent, ils sont frappés par les différences qu’ils constatent et non par les similitudes, comme le font des vrais jumeaux. Il faut un œil extérieur comme le mien pour être frappé par l’identité culturelle fondamentale qui existe entre eux.
Il n’y a rien de plus fondamental pour un peuple que la façon dont elle assure sa subsistance. Les peuples de notre culture, en Orient et en Occident, le font par l’intermédiaire de l’agriculture totalitaire, et l’ont fait depuis le début – le même début; depuis dix mille ans, les peuples d’Orient et d’Occident ont construit en s’’appuyant méthodiquement, solidement et exclusivement sur l’agriculture totalitaire. Rien ne les distingue à cet égard.
L’agriculture totalitaire est davantage qu’un moyen d’obtenir le nécessaire pour vivre, c’est la base du mode de vie le plus laborieux jamais développé sur cette planète. Cela choque du monde chez les gens qui m’écoutent, et pourtant c’est indéniable: personne n’a travaillé aussi dur pour rester en vie que ne le fait notre culture. Cela a été documenté de manière tellement précise sur les quarante dernières années que je doute que vous trouviez un seul anthropologue qui remette cela en question.
Je pense que l’aspect laborieux de leur mode de vie a donné naissance à une autre similarité entre les peuples d’Orient et d’Occident, et il s’agit de la similarité de leur perspective spirituelle. Là encore il est courant d’imaginer qu’un gouffre sépare l’Orient de l’Occident sur cette question, mais à mes yeux ce sont deux jumeaux, parce qu’ils sont tous les deux obsédés par l’idée étrange que les gens ont besoin d’être sauvés. Au cours des décennies qui viennent de s’écouler, la coloration salutiste des religions occidentales a été atténuée pour être exportée vers les générations Beat, hippie et New Age, mais ça saute aux yeux quand on la voit dans son habitat initial.
Il est très certainement vrai que les objectifs et les moyens du salut différent entre Orient et Occident, mais les objectifs et les moyens du salut diffèrent dans toutes les religions salutistes du monde – c’est ainsi qu’on les distingue. L’essentiel reste que, partout dans le monde, en Orient et en Occident, vous pouvez aborder un étranger et dire, « Laissez moi vous montrer comment être sauvé » et vous serez compris.
Le néant de la Préhistoire
Quand les penseurs fondateurs de notre culture ont regardé le passé, au delà de l’apparence de l’homme cultivateur, ils virent… le néant. C’est ce qu’ils s’attendaient à voir, puisqu’ils l’aient déduit, les peuples ne pouvaient pas plus exister avant l’agriculture que le poisson ne pouvait exister avant l’eau. Pour eux, l’étude de l’homme pré-agricole aurait été comme l’étude d’une non-personne.
Quand l’existence de l’homme pré-agricole est devenu indéniable au XIXème siècle, les penseurs de notre culture ne se sont pas préoccupés de recevoir la sagesse des anciens, et donc l’étude de l’homme pré-agricole est devenu l’étude de la non-personne. Ils savaient qu’ils ne pouvaient s’en sortir en disant que les peuples préhistoriques vivaient dans la non-Histoire; à la place ils affirmèrent qu’il vivait dans quelque chose nommé la Préhistoire. Je suis sûr que vous comprenez ce qu’est la Préhistoire. C’est comme la pré-eau, et on sait ce dont il s’agit n’est-ce pas ? La pré-eau est le truc dans lequel les poissons vivaient avant que l’eau n’apparaisse, et la Préhistoire est la période où les gens vivent avant que l’Histoire n’apparaisse.
Comme je l’ai souligné à plusieurs reprise, les penseurs fondateurs de notre culture imaginaient que l’Homme était né cultivateur et bâtisseur de civilisation. Quand les penseurs du XIXème siècle durent revoir cette imaginaire, voici comment ils ont fait: l’homme n’est peut-être pas née cultivateur et bâtisseur de civilisation, mais il est né pour devenir un cultivateur et un bâtisseur de civilisation. Autrement dit, l’homme de cette fiction nommée Préhistoire est entré dans notre conscience culturelle comme un débutant très très lent, et la Préhistoire est devenu l’enregistrement des gens qui commençaient très lentement à devenir des cultivateurs et des bâtisseurs de civilisation. S’il vous faut un indice pour le confirmer, prenez l’appellation classique des peuple préhistoriques comme appartenant à « l’Âge de Pierre »: cette nomenclature fut choisie par des gens qui ne doutaient pas un seul instant que les pierres étaient aussi importantes pour nos ancêtres pathétiques que le furent les imprimeries et les locomotives à vapeur pour les peuples du XIXème siècle. Si vous voulez savoir à quel point les pierres étaient importantes pour les peuples préhistoriques, rendez-vous dans une culture de « l’Âge de Pierre » en Nouvelle Guinée et au Brésil, et vous verrez que les pierres sont aussi centrales dans leur vie que la colle l’est dans la nôtre. Ils utilisent des pierres tout le temps, bien sûr – et nous utilisons de la colle tout le temps – mais les appeler des peuples de « l’Âge de Pierre » est aussi insensé que de nous appeler un peuple de l’Âge de la Colle.
Le mythe de la Révolution Agricole (suite)
Les penseurs fondateurs de notre culture envisageaient l’évolution de l’homme ainsi:
Les révisionnistes réticents du XIXème siècle ont corrigé cette évolution de l’homme pour qu’elle ressemble à ça:
Bien entendu, ils n’ont pas hésité à supposer que toute l’histoire de l’humanité menait directement à « Nous » – les gens de notre culture – et c’est ansi que cela été enseigné dans nos écoles depuis. Malheureusement, comme la plupart de raisonnements faits jusqu’alors, c’était une déformation tellement grossière des faits que cela fait passer les hurluberlus qui croient que la Terre est plate pour des génies.
Voici à quoi cela doit ressembler si l’on commence à reconnaitre le fait que les peuples de notre culture ne sont pas les seuls humains sur cette planète:
Ce diagramme révèle une fracture au sein l’humanité bien plus profonde que celle qui divise l’Orient et l’Occident. Ici nous voyons la fracture qui s’est produite entre ceux qui ont fait l’expérience du Grand Oubli et ceux qui ne l’ont pas fait.
La Loi de la Compétition Limitée
Pendant le Grand Oubli la croyance s’est répandue dans les peuples de notre culture que la vie « sauvage » était gouvernée par une loi unique et cruelle nommée « La Loi de la Jungle », qui peut se traduire grossièrement par « tuer ou être tué » Au cours des dernières décennies, par l’observation (au lieu de la supposition) les éthologues ont découvert que cette loi du « tuer ou être tué » était une invention. En fait, un système de lois – observé partout sur la planète – préserve la tranquillité de « la jungle », protège les espèces et même les individus, et soutien le bien-être de la communauté dans son ensemble. Ce système de lois a été appelé, entre autres choses, la loi du maintien de la paix, la loi de la compétition limitée, et l’éthique animale.
En bref, la loi de la compétition limitée dit ceci: On peut entrer en compétition au maximum de ses capacités, mais on ne peut ni massacrer ses concurrents, ni détruire leur nourriture, ni leur refuser l’accès à leur nourriture. Autrement dit, on peut être en compétition mais on ne peut faire la guerre à ses concurrents.
La capacité à se reproduire est clairement un pré-requis du succès biologique, et il est certain que chaque espèce vient au monde avec cette capacité essentielle héritée de son espère-mère. De la même manière, suivre la loi de la compétition limitée est un pré-requis du succès biologique, et il est certain que chaque espèce qui vient au monde suit cette loi, héritage essentiel de son espèce-mère.
Les êtres humains sont venus au monde suivant la loi de la compétition limitée. C’est une autre manière de dire qu’ils ont vécu comme toutes les autres créatures de la communauté biologique, en étant en compétition au maximum de leur capacité sans faire la guerre à leur concurrents. Ils suivaient cette loi en venant au monde et ont continué de le faire jusqu’à environ il y a dix mille ans, quand un peuple d’une culture isolée au Proche Orient a commencé une forme d’agriculture contraire à cette loi en tout point, une forme d’agriculture dans laquelle on vous encourageait à faire la guerre à vos concurrents – à les massacrer, à détruire leur nourriture et à les priver de l’accès à leur nourriture. Ceci était et est encore la forme d’agriculture pratiquée dans notre culture, orientale et occidentale – et dans aucune autre.
Les Confiants et les Preneurs
Nous en sommes enfin arrivés à un point où nous pouvons abandonner les appellations maladroites et floues de « gens de notre culture » et « gens de toutes les autres cultures ». Nous pourrions choisir « Ceux qui suivent la Loi » et « Ceux qui refusent la Loi », mais une paire de noms plus simples a été fourni par un collègue qui les appelle les Confiants (Leavers) et Preneurs (Takers). Il a expliqué ces noms comme suit: les Confiants, en suivant la loi, confient la direction du monde aux mains des dieux, alors que les Preneurs, en rejetant la loi, prennent la direction du monde entre leurs propres mains. Il n’était pas satisfait de cette terminologie (et moi non plus), mais elle a un certain nombre de supporters et je n’ai rien trouvé de mieux.
L’important est de remarquer qu’il existe une continuité culturelle chez les peuples Confiants qui remonte à trois millions d’années sur l’arbre de notre espèce. L’Homo abolis est né Confiant; un fidèle de la même loi suivie par les Yanomami du Brésil et les Bushmen du Kalahari – et les centaines d’autres peuples aborigènes des régions sous-développées de la planète.
C’est précisément cette continuité culturelle qui fut brisée lors du Grand Oubli. Autrement dit: après avoir rejeté la loi qui nous a protégé de l’extinction pendant trois millions d’année et être devenus l’ennemi de tout le reste de la communauté biologique, nous avons effacé notre statut de hors-la-loi en oubliant qu’une loi ait jamais existé.
La bonne et la mauvaise nouvelle
Si vous me connaissez un tant soit peu, vous savez que ma réputation a beaucoup été remise en cause. La raison en est que j’apporte une bonne nouvelle, la meilleure nouvelle que vous ayez eu depuis longtemps. On peut penser qu’apporter une bonne nouvelle ferait de moi un héros, mais je vous assure que c’est loin d’être le cas. Les gens de notre culture sont familiers des mauvaises nouvelles, et y cont complètement préparés, et personne ne songerait à me désavouer si je me levais pour annoncer que nous sommes damnés et condamnés. C’est précisément parce que je ne le fais pas que l’on me désavoue. Avant de formuler la bonne nouvelle dont je suis porteur, permettez-moi de bien clarifier les mauvaises nouvelles que les gens sont toujours prêts à entendre.
« L’Homme est un fléau pour la planète et il est un fléau DE NAISSANCE depuis quelques milliers d’années. »
Croyez-moi, je peux être applaudi partout dans le monde en prononçant ces mots. Mais la nouvelle que je vous apporte est d’une autre nature:
L’Homme n’est PAS né il y a quelques milliers d’années et il n’est PAS un fléau de naissance.
Et c’est pour cette nouvelle que l’on me condamne.
L’Homme est né il y a des MILLIONS d’années et n’était pas plus un fléau que les faucons, les lions ou les pieuvres. Il a vécu EN PAIX avec le monde… pendant des MILLIONS d’années.
Cela ne veut pas dire qui’l était un saint. Cela ne veut pas dire qu’il marchait sur terre tel un Bouddha. Cela veut dire qu’il vivait de manière aussi inoffensive que la hyène, le requin ou le serpent à sonnette.
Ce n’est pas l’HOMME qui est un fléau pour le monde, c’est une seule culture. Une culture parmi des centaines de milliers d’autres cultures. NOTRE culture.
Et voici le meilleur de la bonne nouvelle que je porte :
Nous n’avons pas besoin de changer L’HUMANITÉ pour survivre. Nous n’avons besoin que de changer une seule culture.
Je ne sous-entends pas que ce sera facile. Mais au moins ce n’est pas impossible.
NdT: On m’informe que certaines études montrent que des extinctions d’espèces ont démarré sitôt que des humains ont mis les pieds sur certains continents. Intéressant ! N’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaires. Je trouve le point de vue de Quinn intéressant tout de même, car il remet en question une idée reçue qui fait peut être beaucoup de mal à notre psyché collective et nous empêche de puiser dans notre génie humain pour changer les choses.
Il est en colère ce monsieur ! M’a fallu bien respirer et rester centrée pour aller au bout. Mais je souris en me disant qu’au fond, il nous dit que les premiers hommes connaissaient déjà le « salaire de base » et sa logique. Travailler n’a rien de nécessaire. Faire des efforts non plus. La permaculture ramène des logiques zéro fatigue sur le devant de la scène : quand tu fous la paix à la terre elle te donne à profusion. Pas besoin de « cultiver »… la vie sait donner généreusement à qui commence le changement de paradigme intérieur.
Cela m’évoque ce livre puissant que j’ai lu plusieurs fois « messages des hommes vrais au monde mutant » de Marlo Morgan. Un incroyable récit des aborigènes. Une tribu éteinte depuis. Tu connais ?
Merci pour ces lectures enrichissantes. J’ai passé un bon moment.
Bonjour Gaëlle,
Oui j’ai le Le Message des hommes vrais. Ce fut mon premier livre de cette fameuse collection rouge. J’avais à ce moment là aussi rencontré le producteur de ‘Darshan’ qui mettait sérieusement en doute la véracité du récit (Va savoir…), et du coup je ne me suis pas replongée dedans. Ca vaudrait peut-être le coup de le faire 15 ans après pour voir ce que j’en capte à présent :).