Mourir sage

Un nouvelle interview de Stephen Jenkinson dont la radicalité me plaît profondément est disponible sur le podcast de Daniel Vitalis ‘ReWild Yourself’: « On dying wise in a death phobic culture » (« Mourir sage dans une culture ayant la phobie de la mort »).

Stephen est un auteur et enseignant canadien qui a travaillé pendant de nombreuses années dans des unités de soins palliatifs comme accompagnant, avant de reprendre une ferme avec sa femme. Ses paroles, inspirées de ce que son travail lui a révélé sur la nature humaine et les blessures profondes de l’âme nord-américaine se sont répandues, et il a finit par fonder une école où il invite ses élèves à remettre en question leurs croyances fondamentales sur la mort, et par conséquent sur la vie. Tout en s’occupant de sa ferme, il donne des conférences au travers de l’Amérique, poussant parfois jusqu’en Europe. De nombreuses émissions de radio ont le courage ou le culot de l’inviter à partager sa pensée. Dans ses écrits, son style très élaboré a la clarté et le tranchant de ces ruisseaux glacés qui descendent des montagnes: la force et la pureté de ses mots n’ont pas d’indulgence pour les nuages mentaux trop douillets dont nous entourons notre véritable soi, et pourtant on ne peut douter de l’amour dont ils sont issus.

Dans cet entretien, Stephen reprend l’exposé qui lui est familier de la phobie de la mort de la société nord-américaine et de la tragédie qu’elle engendre, aussi bien chez les individus qu’au niveau collectif. Pour un aperçu de ses enseignements à la source, je vous dirige vers son site OrphanWisdom (ce titre étrange paraîtra moins obscur après les lignes qui suivent). Je souligne ici ce qui m’a marqué dans cet entretien d’une heure, me faisant traductrice et transmettrice.

Stephen aborde le chapitre central de son nouveau livre « Die Wise » (Mourir sage). Son expérience auprès des mourants lui a permis de constater que la crainte primordiale de ceux-ci (une fois que la douleur était ‘gérée’ – tendance sur laquelle il a aussi beaucoup à dire) était qu’ils ne savaient pas où ils allaient, dans les bras de qui ils seraient accueillis.

Les cultures ayant une approche saine de la mort ont pour particularité que leurs membres vivent toute leur vie avec la présence invisible des ancêtres: leur assemblée est à la fois l’espace d’où l’on vient et celui que l’on rejoindra, et leur présence est ressentie et cultivée dans la vie de tous les jours. Les héritiers de ces peuples savent parfaitement où ils vont après leur dernier souffle et c’est un lieu familier. Nous Occidentaux, pas du tout. Soit parce que nous avons vécu dans le déni total de toute forme de vie après la mort, soit dans le cas contraire, parce que la description de l’au-delà a été purement conceptuelle (à de très rares exceptions près). Comment en est-on arrivé là ?
Stephen nous invite à nous figurer ceci: Les populations pré-chrétiennes vénéraient leurs ancêtres. Quand le Christianisme est arrivé, elles furent forcées, sous la menace de l’épée, à couper tout lien avec ceux qui les avaient précédés. Aucune discussion n’était possible: Les vôtres sont en enfer, parce qu’ils n’ont pas reçu le message à temps, et maintenant, on arrête de parler de ça parce que la priorité, c’est de sauver votre gueule pour que vous ne les rejoignez pas. Un choix horrible leur a ainsi été imposé: retrouver les leurs en enfer, ou aller dans ce « paradis » où ils ne souffriraient pas, mais où ils seraient privés de toute les âmes familières qui veillaient sur eux auparavant. L’empreinte de ce traumatisme, même si il est oublié, subsiste dans la psyché de tous leurs descendants, encore aggravé par l’exode hors d’Europe pour ceux qui ont traversé l’Atlantique. Pour Stephen, cette coupure, cet affranchissement des ancêtres qui prend des airs de liberté, mais qui est en fait mortifère, est responsable de toute la philosophie matérialiste Nord-Américaine, et du désastre humain et écologique qu’elle a engendré. Contrairement aux peuples autochtones, nous ne pouvons nous reposer sur le fait que nous allons rejoindre une assemblé valeureuse après la mort et nous passons donc notre vie à nous prouver, ou à prouver à d’autres, que nous avons une valeur propre. De là l’attachement démesuré de la culture nord-américaine à l’héroïsme, avec tous ses travers.

En changeant notre appréhension de la mort, nous changeons notre appréhension de la vie. C’est le remède que propose Stephen, en écartant toute idée d’aller chercher des enseignements auprès des cultures qui ne nient pas la mort, car nous leur avons déjà trop pris, et toute incursion chez eux est plus néfaste que bénéfique.
Cet apprentissage auprès de nous-même est pour lui indispensable et a une portée plus large. En effet, la grande mort en cours, sur laquelle personne de censé n’émet de contradiction, c’est celle de la culture matérialiste qui a forgé nos croyances, nos comportements et nos modes de vie.
Que fait-on quand quelqu’un de proche meurt ? On s’enfuit et on attend le coup de fil fatidique ? Ou bien on saisit cette opportunité de grandir en prenant pleinement conscience de ce qui se passe, et en accompagnant la personne dans ces deniers instants ? Si nous avons le courage de faire la même chose pour notre culture, alors nous avons une chance de devenir un peuple noble, digne de protéger la fraction de planète qui nous a été confiée.
Stephen rejoint ici les thèses de certains écologistes sur le deuil nécessaire de notre civilisation, l’abandon de l’espoir comme portes inévitables vers la transformation…

P.S: Quelques autres traductions des textes ou conférences de Stephen:
De naître dans une époque troublée
La création des Anciens
Le sens de la mort
Deuil et changement climatique

1 Comment

  1. François de Witt says: Répondre

    Je n’ai pas encore écouté Stephen, mais ton commentaire est limpide. Toutes les expériences du type NDE ou SDE (shared-death experience), écriture automatique, channelling -et j’en ai expérimenté certaines avec bonheur- nous montrent la richesse de la vie dans l’au delà et l’accessibilité du monde physique à un monde que je qualifierai volontiers de « psychique », parce que celui de l’âme. Le christianisme a carrément égaré les occidentaux, mais, heureusement, rien n’est perdu. Bravo pour ton engagement salutaire.
    François

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