Imitation Game : une broderie réparatrice

Critique originellement parue dans feu le web-zine L’Imaginarium

Une salle qui applaudit à la fin d’un film en France, c’est rare. Et pourtant, ce n’était pas gagné. Détaillons ce paradoxe.

Imitation Game est une fiction retraçant la vie d’Alan Turing, célèbre mathématicien anglais, qui travailla pendant la seconde guerre mondiale sur un projet top secret, consistant à décrypter le code ultra-sophistiqué de l’armée Nazi. Cet homme est celui à qui l’on doit tout bonnement la naissance de l’informatique (bien qu’il ne fut pas seul, bien sûr).

Sur la base d’une mise en scène et d’une intrigue principale assez classiques, se tisse une histoire plus fine et plus sensible, qui rend le film touchant en dépit de certaines faiblesses. La performance impressionnante de Benedict Cumberbatch (Alan Turing) est entièrement au crédit de cette réussite. Le regarder exercer son métier d’acteur est aussi savoureux que de voir un céramiste japonais ciseler un vase: précis, délicat et bouleversant à la fois. Il n’y a aucune indication historique sur le fait que Turing ait pu avoir le syndrome d’Asperger, mais cela construit un personnage attachant, et l’acteur nous emmène avec lui dans un voyage émotionnel où plusieurs lignes s’entrelacent: l’enfance, la vie sentimentale, la collaboration orageuse avec les autres chercheurs, la tension du travail de décryptage, les enjeux stratégiques, la confrontation avec la hiérarchie militaire et le MI6, les magouilles politiques, la dissimulation de son homosexualité. Turing est le grand enfant affligé du génie au centre de cette danse, dans un montage auquel il faut parfois s’accrocher mais qui est finalement bien mené.

La structure est de fait très osée, avec des flashs-backs sur deux périodes différentes. A cela se rajoutent les images d’archives et les scènes de guerre retournées. Cinq couches espace-temps pour un film de moins de 2 heures, c’est un vrai défi. En effet, en sautant d’une ligne temporelle à une autre, le risque est de perdre le spectateur: notre inconscient, qui a donné son accord pour se laisser entraîner par l’histoire (la fameuse « suspension of disbelief » de Coleridge), peut se rebeller contre ces ruptures et générer un inconfort de quelques fractions de secondes à quelques secondes. Ici, on le remarque pendant la première demi-heure, mais finalement, ce fut vrai pour moi en tout cas, quelque chose choisit de passer outre pour rester en empathie avec le personnage. Voilà où la performance de l’acteur sauve peut-être le film du chaos.

L’alchimie cinématographique est un procédé mystérieux et complexe, et l’on n’est jamais sûr du métal qui cristallisera au fond du creuset. Une histoire commence à descendre du royaume des idées, un indéfinissable qui veut raconter quelque chose. Elle choisit un premier vecteur: scénariste, réalisateur ou producteur, puis devient le fil rouge qui fait de toutes les personnes impliquées les instruments de sa concrétisation. Avec Imitation Game, c’est à la fin du film que l’on saisit pleinement, non pas forcément le fil rouge lui-même, mais sa fonction. Et c’est parce que ce potentiel de résolution a parfaitement atteint son objectif que l’on applaudit.

Dans le tout nouveau domaine de la psychogénéalogie (l’analyse de l’influence des histoires des ancêtres sur les comportements inconscients des descendants), il arrive qu’un membre d’une famille porte dans sa psyché profonde le souvenir d’un autre membre de l’arbre généalogique qui a été oublié: enfant mort né, parent mort en détention, maîtresse spoliée… Occulté de la mémoire consciente de la famille, ce « fantôme » choisit à un moment de réapparaître et demander, parfois à grands cris de maladie, d’être reconnu et honoré pour ce qu’il a apporté. Quand ce problème est détecté et qu’un geste réparateur est posé – il suffit parfois d’ajouter une plaque sur le tombeau familial – tout l’inconscient de l’arbre, et donc celui de chacun de ses membres, pousse un soupir de soulagement: quelque chose a repris sa place dans le juste ordre des choses.

Parce qu’il nous fait vivre les tensions de son personnage d’aussi près, parce que l’on est ému de voir un être humain à l’innocence préservée pris dans cet écheveau compliqué et ces enjeux que personne ne devrait porter, mais également sans doute parce que le secret a été maintenu aussi longtemps et aussi douloureusement sur cette histoire, Imitation Game a, tel un acte psycho-magique, cette vertu réparatrice qui fait du bien à l’âme collective. C’est un grand merci et une justice rendue à un homme exceptionnel, par qui une idée est descendue dans la matière, et sans laquelle je ne taperais pas ces lignes sur mon clavier.

1 Comment

  1. Gilles Greard says: Répondre

    oui effectivement mais son homosexualité est vraiment importante dans le film puisque il a été condamné et ensuite réhabilité plus tard…c’est le mythe de blanche neige il est mort à cause d’une pomme empoisonnée et il à du subir un traitement hormomal pour changer de sexe: bon c’était un génie ! et comme tout génie… ce fût une vie difficile à vivre , le film est bien fait certes mais la bande dessinée sur lui est mieux encore !

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