Interstellar : grandiose et intime

Critique originellement parue dans feu le web-zine L’Imaginarium

Attachez votre ceinture, assurez-vous d’avoir un certificat mental en bonne et due forme, et plongez dans ce film qui vous laissera le coeur à bout de souffle et les yeux remplis.

Dans un futur non daté, mais que nous pouvons imaginer être 2050, les dérèglements climatiques ont raison de la race humaine. Cooper (Matthew McConaughey), un ancien astronaute, est mystérieusement guidé vers ce qu’il reste de la NASA, qui le propulse dans une expédition de la dernière chance, accompagné de trois autres explorateurs, vers une autre galaxie à la recherche d’une planète habitable. Derrière lui, Cooper laisse ses deux enfants et notamment sa fille (qui grandit en Jessica Chastain). Sa coéquipière Brand (Anne Hathaway), elle, laisse son père physicien (Michael Caine) qui doit trouver la solution de l’équation permettant à toute la population de les rejoindre. Si tout va bien.

Cinématographiquement, Interstellar est extrêmement fort et qui plus est magistral dans sa réalisation (Nolan a encore frappé). Le parti pris de respecter l’impossibilité du son dans l’espace, comme dans 2001 auquel on le compare (avec raison, mais rassurez-vous c’est – un peu – moins cryptique) et Gravity, donne une atmosphère saisissante, ponctuée d’une bande-son par Hans Zimmer qui oscille entre discrétion et omniprésence stridente, tout en passant par l’absence, pour mieux nous mettre face, nus, aux émotions humaines. Rien que pour goûter cette intensité de silence dans une salle de cinéma, où tout le monde est rivé, le film vaut le déplacement. Les personnages sont à des années-lumière de la Terre, mais ils sont tout près, vraiment tout près. Leur complexité et leur subtilité nous sautent à la figure, et c’est cela qui emporte la palme. Aucun n’est un cliché, et cela se savoure à une époque où les stéréotypes envahissent les écrans. Héroïques et fêlés chacun à leur manière, ils sont finalement à l’image de ce monde en perdition dont ils tentent de s’échapper, un monde où les hommes ont aveuglement anéanti l’équilibre de leur habitat. Les acteurs sont impeccables et la partition qu’on leur donne souvent impressionnante. Le dosage et l’alternance entre scènes d’action, d’exposition, et de dialogue est maîtrisé. L’intrigue réserve de beaux retournements qui font grimper l’intensité ou la complexité de l’histoire. Je n’avais pas envie que le film finisse, en dépit de ses 2h50 !

Visuellement, ça décoiffe. Le réalisme des scènes impliquant les astronautes, sur fond de phénomènes cosmiques époustouflants, nous fait vivre ce sentiment d’effroi et d’émerveillement que doivent ressentir ceux qui échappent à notre gravité. Pour mieux nous faire mesurer la taille du drame qui se joue, Nolan joue à fond sur les rapports d’échelle: les silhouettes des humains sont minuscules dans les paysages inconnus, les vaisseaux spatiaux sont à peine visibles dans les paysages interstellaires, et ceux qui sont restés sur terre disparaissent sous des nuages de poussière qui envahissent un immense horizon.
Je ne peux pas encore dire avec si peu de recul si les bases de physique utilisées pour l’intrigue sont justes, mais en tout cas, cela fait du bien d’avoir le cortex stimulé avec des concepts qui sont presque à la pointe de la science actuelle, tout en restant accessibles. Cela a le mérite de piquer la curiosité, et de nous encourager à aller voir les nouvelles représentations de la réalité proposées par les physiciens modernes, qui secouent carrément les cocotiers de tout le monde bien que cela reste encore assez confidentiel (si vous êtes aguichés, écoutez pour commencer les conférences de Philippe Guillemant).

Pour finir sur ce grand film, je sors du domaine purement filmique et je donne mon grain de sel. Vous pouvez tout à fait ne pas en tenir compte dans votre élan pour y aller.

Interstellar, alors qu’il aborde LE plus grand sujet d’actualité contemporain, soit la survie de notre espèce, véhicule plusieurs parti pris qui occultent à mon avis des questions fondamentales.
A aucun moment la responsabilité de l’humain dans la ruine de son environnement n’est abordée, ni le sort des milliards d’êtres vivants qui peuplent notre biosphère. D’ailleurs, on ne voit aucun animal dans les scènes sur Terre et c’est à mon avis un choix délibéré. Pour les auteurs, la seule espèce à sauver c’est l’homme, point. On questionne la place de l’homme dans le cosmos, sans aller du tout voir la question de sa place dans le vivant. Pour Cooper : « Nous sommes des pionniers, des explorateurs, pas des gardiens [de la Terre] ». Le choix du terme gardiens (caretakers en anglais) n’est pas innocent car c’est celui qu’utilisent volontiers les peuples autochtones quand ils essayent de nous éveiller à une autre manière d’envisager notre place sur la planète.

Certes, on pourrait dire que c’est un choix du personnage: Cooper est un astronaute reconverti en fermier car ses compétences n’ont plus de place dans un monde où tout le monde a faim, et il en est amer. Mais ce choix est aussi une prise de position. Le film fait l’éloge de l’esprit aventurier, et j’honore tout à fait cette facette de notre espèce. J’aurais juste aimé qu’il ne fasse pas l’impasse sur l’étape à mon avis cruciale dans notre évolution, et qui aura lieu je l’espère avant que nous allions nous installer sur d’autres planètes, où nous allons regarder le massacre que nous avons causé et avoir le coeur brisé.

Ma position n’enlève rien au plaisir que j’ai eu à regarder ce film grandiose et prenant, à la taille des enjeux auxquels nous faisons face aujourd’hui.

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