Déni de réalité

Le résultat des élections européennes ne m’a pas scandalisée, il m’a permis d’ouvrir encore davantage les yeux sur le dysfonctionnement de notre système de gouvernement.

Déjà, il y a deux ans, Etienne Chouard m’a apporté une bouffée d’air frais en remettant en question l’idée que je partageais avec beaucoup de monde, à savoir qu’en Occident nous vivons en démocratie. Dans un discours très rentre-dedans (ce que je lui reproche un peu, mais ça réveille!), il explique que nous vivons en oligarchie (où le pouvoir appartient à quelques uns) et non en démocratie (où le pouvoir appartient au peuple). Une de ses phrases fortes est: « Nous élisons nos maîtres ». Selon lui, le tirage au sort est, bien davantage que l’élection, l’outil de choix pour l’exercice et la préservation d’une véritable démocratie, et a d’ailleurs été utilisé avec succès à Athènes à la naissance de la démocratie (NB: certains prétendent descendre son argument en se scandalisant de la ségrégation exercée par la société athénienne. Certes, ce n’était pas une société égalitaire, mais cela ne remet pas en question l’efficacité du tirage au sort en tant que méthode).
Dimanche dernier, le soir des élections, j’ai eu la chance de tomber sur une interview de David Van Reybrouck, un Belge qui venait parler de son dernier livre « Contre les élections ». Il y défend les mêmes arguments qu’Etienne Chouard, mais avec une clarté de language et un calme qui a profondément ancré en moi la vision claire de ce qui ne fonctionne pas (un aperçu de ses thèses dans cet article de Libé).

Etienne Chouard, tout comme David Van Reybrouck nous invitent notamment à revisiter l’histoire de la Révolution française, en citant les théoriciens de l’époque qui énoncent très clairement qu’ils n’étaient pas en train de concevoir une démocratie mais un système représentatif, où la nation serait conduite par les meilleurs (aristos en grec!), soit une aristocratie qui serait non plus de droit divin ou de naissance, mais élue.
Voilà où est née la professionnalisation de la politique et le désengagement des citoyens dans la gouvernance. Ce qui était valable à une époque où les voyages et la communication étaient beaucoup plus lents et laborieux ne l’est plus aujourd’hui, mais nous avons gardé l’habitude de n’avoir à nous prononcer sur notre destin que de temps en temps, et de laisser « ceux qui savent » gérer le schmilblik pendant que nous vaquons à nos occupations – tout en critiquant, remplis d’indignation autour du repas dominical, ceux auxquels nous avons donné tout notre pouvoir!
Sauf que le schmilblik c’est nous! On a beau ne pas avoir le goût de s’impliquer et considérer que la politique est un cirque, quand votre fils revient du Mali dans une boîte, vous êtes affectés par la politique, que vous le vouliez ou non.

Tant que je n’avais pas mis le doigt sur ces problèmes, je nageais dans un sentiment d’impuissance frustrant mais que je considérais comme inéluctable: la « démocratie » (notre système) était ce qu’il y a de mieux (regardez la Chine ou le Soudan!) donc il faut faire avec, travailler dans ce cadre, on n’a pas le choix. Je ne votais d’ailleurs qu’aux présidentielles, tellement je me sentais peu concernée par la politique.
Van Reybrouck souligne d’ailleurs que, alors que la France abrite des penseurs politiques très novateurs, elle est peut-être le pays le plus sclérosé de l’Europe dans ce domaine. là où les petits pays qui nous entourent font preuve de bien plus d’audace et d’innovation (Belgique, Finlande, Pays-Bas…).

Triste constat. Mais, à bien y réfléchir, le sens de l’identité française n’est-il pas très attachée à la Révolution, enseignée et considérée comme étant le geste fondateur de la démocratie moderne (la révolution américaine aussi, mais ce que je vais dire est aussi valable pour ce pays)? Or, on le voit en psychologie: la psyché d’un individu peut avoir beaucoup de mal à remettre en question son identité, voire dans certains cas peut en être complètement incapable si un traumatisme mettant en jeu la survie a cristallisé un fondement de la personne (et décapiter des centaines de gens pendant des années sur la place publique, si ce n’est pas un traumatisme, je me demande ce que c’est!). Ainsi, au niveau de la nation, regarder en face qu’une des croyances fondamentale qui nous définit (« nous sommes le peuple qui a fait la Révolution » + « la démocratie est née à la Révolution ») est désaxée par rapport à la réalité (la Révolution n’a pas créé de démocratie + j’ose: elle n’a pas été faite par le peuple mais par les bourgeois) est peut-être bien trop difficile, trop dangereux (si je ne suis pas cela, alors qui suis-je? Peut-être rien = je meurs) et du coup, par réflexe de protection, on bloque. On dit: « On n’a pas le choix », on est devant un mur.
Pour couronner le tout, si, comme on nous le serine, nous sommes convaincus de vivre dans le meilleur des mondes, cela ne laisse pas beaucoup de place pour l’amélioration.
La France est peut-être verrouillée, coincée par une vision de son passé.

Sur cette réflexion, je reçois l’intervention d’Alexandre Jardin dans une émission québécoise, où il raconte sa découverte du fait que son grand-père a collaboré pendant la deuxième guerre mondiale ( d’où il a tiré son livre « Des gens très bien »):

et et je suis frappée par sa phrase:  « Toutes les familles qui ont un énorme merdier (pédophile, collabo…) et qui se taisent sont des familles qui meurentTous les pays qui n’arrivent pas à vivre avec le réel sont des pays qui meurent. »

En effet, les thérapeutes qui utilisent la psycho-généalogie ou les constellations familiales le confirment: le secret tue, si ce n’est physiquement, parfois psychologiquement, professionnellement ou affectivement (pour plus d’information sur ces sujets, voir par exemple: « Aïe mes aïeux » d’Anne Ancelin Schützenberger et les livres de Bert Hellinger).

Alors, allons nous laisser ce qui est caché (ou l’était!) tuer nos libertés et notre pouvoir de choisir notre avenir commun?…Nous sommes tous invités à regarder là où ça fait mal. C’est urgent.

revolution-francaise
Bigre

3 Comment

  1. Valerie Bremond says: Répondre

    Merci Marianne, je trouve ton article tres juste et j’ai beaucoup aime la video. Tres emouvant….

    1. Marianne says: Répondre

      Merci pour ton retour Valérie!

  2. Nous sommes tous invités à regarder là où ça fait mal. C’est urgent.
    bien sûr !c’est pas nouveau !
    Il y a des siècles qu’on le sait (Karl Marx en a même fait toute une analyse,mais pas que lui)
    Mais c’est affligeant que les gens l’aient oublié !

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